Réveillé à 5h du mat’ pour aller uriner, je sors sous un léger crachin. Vers 6h30, j’émerge à nouveau. Le crachin s’est arrêté. Je plie le bivouac et déjeune rapidos avant que cela ne reprenne. A peine ai-je fini de déjeuner qu’une grosse averse tombe. Je pars dessous. Vu comment le ciel est plombé, la journée s’annonce humide.

Je sors de mon terrain de camping improvisé et, vu l’état du sol, je pourris bien mon destrier. Je reprends mes chemins de traverse. A cette heure, je ne croise que quelques tracteurs partant aux champs. Je longe le lac artificiel d’Ayhan.

Les averses alternent avec des moments d’accalmie. J’ai sorti ma veste thermique pour me protéger du froid ambiant et de l’humidité ainsi que mon ciré jaune bien évidemment. Je ne vois pratiquement personne à part quelques automobilistes qui me klaxonnent et me saluent au passage. Et un gardien de vaches perdu dans ces immensités qui doit me prendre pour un martien.

Après une montée interminable à 5 à 6%, j’aperçois au loin des immeubles neufs qui émergent au-dessus des champs de blé. La ville approche. J’arrive en vue de Hacibektas sous une grosse averse. Je me pose dans une boulangerie-café bienvenue. Les enfants de la boulangère jouent à la vidéo. Je leur demande leur internet pour me connecter. La pluie s’est calmée. Je repars à travers ces hautes collines parsemées, quand c’est possible, de champsrefois, de blé.

Parfois, les différentes cultures forment comme un patchwork aux multiples couleurs. Cela me fait penser que, pour voyager à vélo, il faut forcément aimer la campagne et ses habitants. On y passe la majorité du temps. D’ailleurs, mes grands-parents paternaux avaient une exploitation laitière dans la Sarthe. J’y ai passé quelques vacances scolaires à rentrer les foins, fendre le bois pour l’hiver (j’en garde d’ailleurs un souvenir sous la forme d’un éclat de coin dans le mollet), ramener les vaches à l’étable. Et mes grands-parents maternaux tenaient une boulangerie dans un village près d’Angers.

Après être sorti de la ville, la pluie s’est arrêtée. Je poursuis mon petit bonhomme de chemin en profitant des rares moments où je croise des gens. Comme ici, avec ce motard qui s’est arrêté voir sa bergère et repart je ne sais où (peut-être jouer au domino ?).

Vers midi, je m’arrête dans la seconde ville traversée de la matinée : Mucur. J’y déjeune dans un restaurant ouvrier du centre. Il y a un plat unique (en dehors de kebab) composé de poulet, bourghour et haricots blancs. Je l’accompagne d’une boisson de lait liquide légèrement salé. Cela fait un moment que je n’ai pas vu une bière en vente. Quant au vin, je n’en parle même pas ! Avec la salade et une bouteille d’eau de 33cl, je m’en tire pour 40TL (2,40€). C’est exagéré !
Vers 13h, je quitte cette bourgade après avoir traversé la route principale D260 qui monte à Ankara. En passant par les petites routes, je ne ferai qu’une trentaine de kms en plus sur les 300 de l’itinéraire. C’est quand même beaucoup plus calme et reposant. Le relief s’assagit. Je longe l’immense lac et réserve naturelle de Keyfe. Les plantations de maïs, qui demandent beaucoup d’eau, font place à celle de blé. Je passe aussi devant un champ de nichoirs. Il doit y en avoir une bonne vingtaine.

Comme souvent en début d’après-midi, je branche la musique pour me refiler la pêche. Cet aprèm, c’est Zebda au programme. A l’écoute du titre « Tout semble si » sorti en 1998 (il y a donc 24 ans) et qui parle de la prise des 4 premières villes aux élections par le FN de l’époque, j’ai comme un relent de haine justement. Quand on voit les 89 députés RN qui viennent de rentrer à l’Assemblée Nationale alors qu’aucun sursaut républicain n’a été évoqué par Ensemble pour cette élection contrairement aux présidentielles (on se met une pince sur le nez lorsque c’est « l’extrême-gauche » mais on est bien content de récupérer ses voix lorsque c’est la NUPES !), sans parler de la fracture sociale qui se creuse, l’absence de décisions fortes quant aux problèmes environnementaux, la gestion de la crise sanitaire, la décrépitude pour la petite enfance, l’éducation, l’hôpital, les maisons de retraite, j’en passe et des meilleures, je ne dirais qu’un mot : Bravo Manu !
Je file dans la campagne jusqu’à Boztepe, grosse bourgade rurale aux nombreux commerces. Je fais une pause dans une pâtisserie pour y acheter des spécialités orientales que je vais déguster dans le café d’à côté avec deux çay. Le petit-fils du patron est au service. Il essaie de me parler en anglais. Je l’encourage et lui fait comprendre, comme à tous les jeunes croisés ici et là, que c’est très important d’apprendre l’anglais. Lui me dit qu’il fait little english. Je lui dis de faire big english ! Après ces bons conseils, je reprends la route et me tape une belle montée à la sortie de cette bourgade. En haut, la vue sur le village, les cultures de blé au 1er plan et de maïs ainsi que le lac au fond est superbe.

Par contre, après une belle éclaircie, le temps se gâte à nouveau. Et, en plus de cela, je croise des meutes de chien à l’entrée de grandes exploitations laitières. Cela faisait un bail. Lorsqu’ils sont seuls, ça va, ils sont hyper craintifs mais, en bande, ils sont beaucoup plus agressifs. Comme les humains (mais j’ai déjà dû évoqué ce sujet).

L’heure avance et je commence à penser à trouver un bivouac. Par contre, j’ai raté la case market bien que j’ai de quoi casser la croûte. Alors que je quitte la route D785 empruntée quelques kms pour monter vers le nord, un gros grain me tombe dessus. J’ai juste le temps de remettre mon ciré que je suis déjà trempé. Cela ne dure pas. Par contre, je n’aimerais pas être un peu plus à l’est !

J’arrive au hameau de Yesiloba. Je vais vers la mosquée au centre pour voir s’il n’y a pas un petit market. A l’entrée je repère de vieilles maisons abandonnées avec auvent qui pourront m’abriter et de la pluie et du vent. Rien. J’aperçois un vieux monsieur qui sort de chez lui. Je l’interpelle pour lui demander où je peux trouver un market. Il m’indique un village à plus de 5kms. J’en ai pleins les bottes. Le vent souffle dans le nez et la pluie menace. Je lui demande s’il n’aurait pas de yogurt à me vendre. Sa femme arrive. Ils me proposent de rentrer à l’intérieur pour yemek. Je ne comprends pas mais les suit. J’enlève mes chaussures et m’installe. La femme, partie en cuisine, m’amène un plateau avec une assiette de pommes de terre et de légumes, une de pastèque et une de yogurt ! Je comprends que yemek veut dire manger.

Je sors mon traducteur Google et s’engage alors une conversation en turco-allemand (avec mes quelques restes germaniques). J’apprends que Rachid, après avoir été militaire, est parti travailler 5 ans à l’usine Ford à Francfort. Sa femme se nomme Hadji. Ils ont 3 fils et une fille qui vivent à Istanbul et Ankara. Il est désormais à la retraite et a quelques vaches et un potager. Rachid sort un instant parler à un voisin. Hadji elle me tend un sac avec du yaourt et du fromage. J’entends qu’il parle de moi (fransizca). Le temps passe trop vite. Quand il revient, je leur dis que je dois les quitter pour trouver un endroit où dormir. Il me demande alors de le suivre avec mon vélo. Il m’emmène en face de chez à la petite mosquée, ouvre la porte et me propose de m’installer là. Incroyable ! J’imagine que la personne avec qui il parlait devait être l’imam. Je vais pouvoir dormir au sec et à l’abri du vent.

Encore une nouvelle journée difficile au niveau météo mais tellement riche en paysages superbes et en rencontres incroyables. Que le retour va être compliqué … Alors que je finis d’écrire cet article, l’imam nommé Hayri arrive dans sa maison. C’est un très jeune imam. Il m’apporte à manger et me propose de m’héberger chez lui. Je refuse poliment. D’autres personnes arrivent. Nous discutons en plusieurs langues avant d’assister en direct à l’appel à la prière et la prière du soir. Incroyable !

Résumé : 105kms, 7h20, 14,3km/h, pluie/variable/orage/vent, squat