En ce dimanche 1er mai, je suis à nouveau réveillé aux aurores après une douce nuit à la belle étoile. Je plie mon campement de fortune avant de déjeuner assis sur les marches de mon chalet. A 8h00, je suis déjà d’attaque pour continuer ma descente vers le sud.

Alors que je rentre dans le hameau de Darëzezë, je tombe avec un vieux couple en train de préparer le méchouis dominical. Ils m’autorisent à immortaliser cet instant. A la vue de cette scène, j’ai une pensée pour mon ami Housni qui traverse une passe difficile après avoir contracté le Covid. J’espère que tu seras à nouveau en pleine forme à mon retour … et que nous aurons l’occasion de nous retrouver autour d’un bon couscous avec la bande des Kikikours.

A la sortie du village, j’emprunte un mauvais chemin rectiligne pendant 9kms. Je suis accompagné par les croassements des batraciens et les trisses des hirondelles qui occupent les bords du canal que je longe. Un pêcheur de grenouilles me salue.

Je croise aussi un vagabond sur ce chemin de croix. Me vienne alors ces quelques vers :
Sur la caillasse, un pauvre hère.
Sous la cagnasse, âme en peine erre
Mais que fais-je donc sur cette terre ?
Pourquoi sur moi tant de misère ?
Je finis par rejoindre la route « goudronnée » SH8 qui serpente le long de la Laguna e Nartës. L’autoroute A2 est en contrebas. Puis j’escalade une colline (cela faisait longtemps que je n’étais passé sur la petite plaque) alors que paissent des troupeaux de moutons et de briquettes.

J’arrive au sommet de cette belle montée sur laquelle est érigée une fresque à la gloire des soldats et de la famille albanaises.

Je redescends ensuite vers la grande ville de Babicë où je m’arrête boire mon expresso matinal. J’ai oublié de signaler qu’il y a énormément de café dans chaque ville et ville traversés. Le choix est parfois compliqué.
Le décor change complètement. Après la grande plaine, je me retrouve en front de mer avec la route SH8 qui devient beaucoup plus escarpée. J’arrive à Vlorë grande ville portuaire d’où un ferry part pour Brindisi dans les Pouilles. Et dire qu’il y a un peu plus d’un an, j’étais juste en face … En ce dimanche matin, tous les albanais semblent de sortie. Les lavazh, magasins, commerces, cafés et restaus sont tous ouverts. Pas de muguet non plus à l’horizon. Le 1er mai, ils s’en tamponnent le coquillard ici ! Mais toujours cet antagonisme entre passé et présent.

Je longe le bord de mer qui me rappelle la Promenade niçoise avec la mer, les palmiers, la promenade, la route et les restaurants et boutiques en enfilade. En moins joli, je vous le concède. Mais, par rapport à mon entrée en Albanie, c’est la plus jolie ville que je traverse. Vers midi, j’en sors pour suivre le bord de mer quand, sans prévenir, un méga orage me tombe sur la tête. Je n’ai rien vu venir. J’ai juste le temps de me trouver un abri et d’attendre que ça passe. Je sors quand même mon ciré jaune et repars alors que de nombreux automobilistes essaient de trouver des places sur les petits parkings des grands restaus à la sortie de la ville.

De mon côté, je m’éloigne de la ville pour trouver mon bonheur dans un restau les pieds dans l’eau, spécialisé en fruits de mer et poissons. Je suis un des premiers arrivés. Lorsque je repars, il est blindé. En ce dimanche férié, je me tape la cloche : salade mixte, liguine aux fruits de mer, pâtisserie, bière et café.

Je comprends pourquoi cet attrait. C’était délicieux et le cadre est somptueux.

Je reprends la route qui longe la lagune. Alors que j’arrive au bout de cette lagune, je continue sur la route SH8 qui est un immense chantier avec un élargissement de voies en perspective. C’est un sacré boxon. Heureusement que nous sommes dimanche et qu’il n’y a ni bus, ni camion. Puis je passe à Tragjas en fond plat montant. Je croise un couple de cyclotouristes. Je les salue. Le gars me lance un sonore « Good luck ! ». Le ciel est sombre à l’horizon. Je vois une vallée au fond. Je pense passer par là.

En fait de vallée, c’est mon premier vrai col que je vais gravir avec les sacoches. Je comprends maintenant l’encouragement. Ça grimpe entre 8 et 12% pratiquement sans récupération. Je vais m’enquiller 13 bornes jusqu’à Palasa (comme indiqué sur le panneau) avec 1.000m de dénivelé positif. Je traverse le parc national Llogara.

Je fais une pause photo et achat de miel (4$ les 500g) dans un des nombreux stands de vendeurs en bord de route.

Le paysage est grandiose. Mais j’en bave grave d’autant plus qu’il n’y a aucune indication des kms et du dénivelé comme dans nos cols pyrénéens. Alors que je passe la station de Dukat, je pense en avoir fini après avoir grimpé une rampe à 15%. Mais non, ça redescend pour repartir de plus belles dans des lacets et des pentes indiquées à 10%. Je finis par en voir enfin le bout. Au sommet, non indiqué si ce n’est pas de nouveaux bunkers, je suis acclamé par un groupe de randonneurs albanais, suédois et italiens. J’en profite pour me faire tirer le portrait par la guide albanaise après ce bel effort de plus de 2 heures. Vous remarquerez que j’ai les tibias bien amochés avec mes 2 gamelles, les retours de pédale, les buissons … Mais bon, le principal, c’est que les cuissous répondent !

J’ai enfilé ma veste jaune en prévision de la descente. En effet, je suis en nage alors que la température a chuté de 25°c au bord de la mer à quelques degrés ici. Je plonge dans cette longue descente avec des pointes à 60km/h selon le GPS de mon iPhone.

Arrivé à Palasë, je m’arrête faire des courses pour ce soir. Puis je vais à la boulangerie-pâtisserie à côté prendre du pain et un gâteau-récompense. A une table, j’entends parler français. Je les interpelle. Ce sont 2 couples d’une vingtaine d’années. L’un est en camion aménagé. Elle est belge et lui parisien. L’autre couple, elle vendéenne, lui rennais est en vadrouille en stop et bus. Ils se sont croisés il y a 2 jours, ont sympathisé et font désormais route commune en remontant vers le nord. On discute un long moment mais, l’heure avance, et il me faut trouver trouver où dormir ce soir. Et au sec si possible, vu que mes petits français m’ont annoncé de gros orages pour la nuit …

A une bifurcation, je décide de descendre à Drimadhë en bord de mer plutôt que de continuer sur la route SH8 qui serpente sur une route de montagne. Je me balade dans cette station balnéaire, où les hôtels 4* poussent comme des champignons, mais je ne trouve aucun squat pour la nuit. J’avise donc une villa (Vila Marko) avec chambre à louer. En principe, ils ne sont pas encore ouverts. Je discute avec le proprio qui parle anglais et lui explique d’où je viens depuis ce matin. Il comprend que je me suis tapé la montée à vélo, compatit (lui n’a pas réussi même sans les sacoches) et me prépare une chambre pour la nuit. Je vais pouvoir passer une bonne nuit pour récupérer de cette ô combien éprouvante 20è journée de ce périple.
Résumé : 95kms, 6h30, 14,6km/h, couvert, chambre