J75 – samedi 25 juin – Zincirli / Yapildak

Réveil difficile ce matin. Je me suis levé 2 fois pour une pause-pipi. Et, à loilpé, ça caillait bien. Je sens le froid et le vent au dehors. Mon esprit et mon corps m’invite à rester au chaud. Vers 6h45, j’émerge. Effectivement, ça souffle fort, ça caille et c’est couvert. Je sors mon bandana, plie les gaules, quitte mes bottes de foin et rejoins la route D300.

Après avoir franchi les monts pelés, je me retrouve dans ces steppes où le regard se perd à l’infini. La route est légèrement vallonnée. La circulation y est important. Je préfère rester sur cette route plutôt que d’aller zigzaguer dans la pampa entre les rares villages et me rajouter 80 kms. Dès que la nature est moins aride, on retrouve des cultures céréalières principalement. En bord de route, j’aperçois des camps qui, j’imagine, doivent héberger les saisonniers.

Dans ces grandes plaines, j’aperçois aussi de nombreux troupeaux de moutons qui parcourent ces immensités.

Par contre, je n’ai toujours pas déjeuné. Impossible de trouver un coin à l’abri du vent. Aucun village, à part s’écarter de quelques kilomètres. Aucune station. Aucun café. Vers 9h, je déniche enfin un bâtiment pour transformateur électrique. Il y a quelques marches devant et c’est abrité du vent. Je peux enfin casser la croûte. Le soleil refait son apparition. Quelques kilomètres plus loin, je tombe à nouveau sur un Et Mangal (traduit par « Barbecue de viande ». Je m’y arrête. Cela ressemble à un campement berbère.

A l’intérieur, le bâtiment principal a la forme arrondie d’une yourte. Par contre, pour une fois, l’accueil n’y est pas très sympathique.

Je reprends ma route. Je continue à avancer à bon rythme sur ces longues lignes droites monotones. Forcément, mon attention se porte sur les abords. Je suis attiré par un camion stationné de l’autre côté de la 4*4 voies sur les U-dömüsü. Ces infrastructures permettent de faire demi-tour avec une large voie de dégagement notamment pour les poids-lourds. Je n’arrive pas à distinguer ce que transporte ce poids-lourd. Je m’approche. Stupéfaction ! C’es un chargement de poulets compressés les uns contre les autres. Allô Brigitte B. ? A force d’à force, je vais vraiment finir végétarien.

C’est alors que je vois débarquer de nulle part, trois renardeaux qui ont repéré ce chargement. J’assiste à ce surprenant dialogue en turc que je vous traduis grâce à Google. J’apprends que, en turc, Corbeau désigne un chauffeur de corbillard.

Maître Corbeau, dans sa cabine perchée,

Tenait de pauvres poulets dans leur cage.

Les renardeaux, par la faim tenaillés.

Lui tinrent à peu près ce langage.

« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.

Que vous êtes gentil ! Que vous nous semblez beau.

Sans mentir, si votre conduite

Se rapporte à votre mérite

Vous êtes le phénix des chauffeurs de rois. »

A ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie;

Et pour montrer sa bonne foi,

Il ouvre une cage et laisse tomber une proie.

Un des renards s’en saisit et dit : « Mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute :

Cette leçon vaut bien un poulet, sans doute ».

Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Incroyable scène non ? Pourtant, ils sont pieds nus, dans un sale état, chaussés de claquettes. J’essaie de leur expliquer avec ma carte d’où je viens et où je vais. Je ne sais même pas s’ils savent lire. Je pense qu’ils habitent dans le campement un peu plus loin. Ils repartent avec leur poulet (rien n’est moins sûr !) et moi avec mon destrier. Peu après, je traverse le village de Yenice.

Forcément, je fais le parallèle avec ma ville de départ le 11 avril : Venice (Italie) – Yenice (Turquie), 75 jours de vadrouille, 6 pays traversés, bientôt 7.000 kms au compteur … Et toujours cette envie chaque matin de découvrir de nouveaux horizons, de rencontrer de nouvelles personnes, de goûter de nouveaux plats, de respirer d’autres parfums, de visiter de nouvelles contrées !

Pour cela, il faut manger et c’est justement l’heure. Depuis un moment, je suivais un panneau indiquant l’hôtel-restaurant Granhan avec wi-fi. J’y arrive et me pose dans une grande salle moderne et impersonnelle. Quelques tables sont occupées. Je déjeune d’un ragoût de viande et de légumes servi avec du riz. Et, en dessert, je goûte un délicieux dessert servi chaud et nommé künefesi.

Cet hôtel est à l’entrée du village de Sultanhani dans laquelle se trouve l’un des plus beaux caravansérail de Turquie. Ce bâtiment, construit en 1229, permettait d’accueillir les marchands et les pèlerins le long des routes. Ils étaient distants d’une quarantaine de kms (1 journée de marche).

Comme je suis aussi un pèlerin, je profite, après avoir enlevé mes chaussures évidemment, d’un banc avec coussins pour m’allonger faire ma sieste. Puis je repars en direction de Aksaray et Neysehir avec Dire Straits pour m’accompagner. Au loin, j’aperçois le mont Kuskun Tepesi qui culmine à 1001 mètres et qui a la tête dans les nuages.

Je m’arrête dans le village de Yapildak pour acheter mon pain quotidien. Le jeune patron parle un peu français. Il a bossé à Metz. A nouveau, les personnes présentes veulent tout connaître de mon itinéraire, du destrier et de son maître. Comme j’ai un traducteur, c’est plus facile. Avant de repartir, avec une tablette de chocolat offerte, je fais le point sur mon futur bivouac. Le cimetière du village est un peu trop près de la route. J’en repère un autre dans un village à l’écart de la route distant d’à peine 10 kms. Je n’ai même fait quelques hectomètres que je vois une maisonnette dans un champ à droite de la D300. Je vais y jeter un œil. Les ouvertures ont été pillées mais l’intérieur est sain. Je serai à l’abri du vent et, éventuellement de la pluie vu les nuages noirs qui s’amoncellent sur le fameux mont. De plus, je dormirai au pied de la cheminée. S’il fait froid, je n’aurais qu’à allumer une flambée ! C’est parfait pour cette nuit.

Par contre, d’une fenêtre j’ai vu sur le mont Fuji et, d’une autre, sur la Cité Perdue au milieu des blés !

Pour une journée que j’appelle de transition, cela fait quand même beaucoup de choses à raconter je trouve …

Résumé : 105kms, 6h05, 17,3km/h, beau venté, squat

Laisser un commentaire