J139 – mardi 18 avril – Veun Sai / Sameakki

Le début de soirée a été un peu agité entre les animaux nocturnes marchant sur une tôle ondulée, la musique de la fête et d’un mariage en plus, la visite d’un inconnu fouinant dans le jardin muni de sa lampe, les insectes attirés par mon écran. Mais j’ai pu finalement dormir paisiblement. Réveillé aux aurores et au chant des coqs, je plie mes gaules comme quand je suis en bivouac. A 6h00, je quitte ma grande demeure.

Je remonte au village pour déjeuner au même endroit qu’hier soir. De plus, je suis devant le départ de l’embarcadère bien existant heureusement. Ce matin, ce sera à nouveau soupe aux vermicelles et abats accompagné de beignets longs. La patronne est au fourneau et ça usine alors que le patron fume et tape la causette.

Après avoir copieusement déjeuné, je peux embarquer et attaquer cette journée qui va s’avérer très longue. Je descends la rampe qui mène au fleuve puis emprunte l’avancée en essayant de bien rester sur les planches. Le traversier m’attend au bout.

Je pose mon vélo à côté d’un homme mûr, bien fringué et assis sur une chaise. Nous entamons la discussion dans un anglais qu’il maîtrise bien mieux que moi. Il m’apprend qu’il était ingénieur pour des boites américaines et qu’il travaillait à Sianoukville. Puis il a décidé de quitter la ville, se retirer dans la campagne, monter sa boite et créer … cet embarcadère. Effectivement, je n’avais pas remarqué mais il a la caisse autour du cou. Il passe sa journée à encaisser les traversées, discuter avec les passagers et profiter du paysage. Il y a plus difficile comme métier. Nous arrivons sur l’autre rive. Je le salue et le quitte à sa nouvelle vie beaucoup moins stressante. Quant à moi, je reprends la piste qui se trouve de l’autre côté du fleuve. Direction nord en faisant toujours gaffe en franchissant les nombreuses passerelles.

Le paysage est toujours aussi désertique qu’hier. Les fermes, implantées au milieu de nulle part, amènent un peu d’animation.

La piste en latérite rend toujours aussi bien. De plus, je ne croise ou ne suis doublé que par des scooters. De temps en temps, je dois faire gaffe en traversant des troupeaux de buffles ou de vaches en liberté. Il ne faudrait pas que je me prenne un coup de cornes.

A 8h30, je traverse mon premier hameau de la journée. Cela crée également de l’animation. Comme il n’y a pas école, les nombreux gamins jouant dans la rue me saluent de ce « Hello ! » si réconfortant. J’ai peut-être oublié de vous dire que la Nouvelle Année était fêtée pendant 2 à 3 jours, voire une semaine selon certains jeunes hier soir. La fête se tient principalement dans le temple bouddhiste. Mais revenons à nos moutons ou, plutôt à nos buffles.

Après la traversée du village, je retrouve la piste. Ce matin, vu le décor, j’ai branché la musique sur Francis Cabrel. Je trouve que la mélancolie de ses mélodies se marient bien avec le décor. Décor troublé de temps en temps par de drôles de véhicules. Ici, c’est toute la famille qui doit se rendre à la fête au village.

Je traverse également de nombreuses forêts primaires incendiées. A côté de ces parcelles, une baraque est construite. Je pense que des paysans doivent récupérer des parcelles de forêt et se débrouiller ensuite pour les exploiter. Comme ces forêts calcinées, le ciel est sombre ce matin. J’espère qu’un gros orage ne va exploser.

Un peu plus loin, c’est une petite rivière nommée Mékong et se jetant dans la rivière Xékong que je dois franchir. Une jeune femme est à la manœuvre sur sa barge.

C’est archaïque mais ça fonctionne parfaitement. A 1.000KHR (0,20€) le passage, il lui faut user de l’huile de coude pour gagner sa pitance.

Le père de la jeune femme assise sur la barge semble lui plus intéressé par mon vélo que par la manœuvre.

A 10h00, je m’arrête dans un hameau pour y boire un nescafé au lait. Je n’ai trop le choix. Mais j’ai besoin de me poser un peu. La jeune femme qui me sert est voilée. En discutant avec quelques mots d’anglais, j’arrive à comprendre qu’elle est musulmane, mariée, maman de deux enfants. Elle fait également office de pompiste et de pompage. Juste en face se trouve la même boutique. Elle passe donc sa journée à regarder passer les scooters et observer ses voisins. D’ailleurs, ils partent également en ville … à six sur le scooter : le papa, la maman enceinte et les 3 jeunes enfants. Record battu !

Quand je sors de ce hameau, je tombe effectivement sur une mosquée. Cela me rappelle mon périple Venise-Istanbul l’an dernier lorsque j’avais traversé l’Anatolie et que j’avais été hébergé dans la mosquée d’un village perdu.

A 11h00, j’arrive dans un village en bordure de la rivière Xekong. Je suis surpris de voir un traversier au loin. Sur ma carte, il n’est pas présent ici mais au niveau de la petite ville de Siem Pang. Je repère l’endroit où il se dirige et m’y rend. Nouvel embarquement en espérant que les freins ne lâchent pas. La pente est rude. Une nouvelle fois il n’y a que des scooters. D’ailleurs, je me fais la réflexion que je n’ai vu ni voiture, ni camion de la matinée.

Je profite de cette traversée pour consulter mes cartes. J’ai encore de la route à tailler si je veux sortir de la piste avant ce soir. De toute façon, dans la ville en face, il n’y a pas d’hébergement non plus.

Nous accostons. Comme je suis en première ligne, je fais fissa pour sortir du traversier. J’attaque la pente sur un petit pignon. Il faut que je monte rapidement les rapports. Mais ça coince. Je manque me casser la gueule. Je mets pied à terre et pousse Haka2 jusqu’en haut. Arrivé sur le plat, je dépose les sacoches et examine la situation. Je m’aperçois vite que Haka2 a pêté un câble … ou du moins la gaine du dérailleur arrière. La même chose qu’il m’était arrivé avec celle du dérailleur avant, peu de jours après notre départ. J’aurais dû demander à ce que mon vendeur les change toutes. Les câbles sont neufs mais les gaines bien usées. Je pars à la recherche d’un réparateur de vélos sans succès. Il n’a que des réparateurs de scooter qui m’envoient paître plus ou moins gentiment. Je trouve un endroit pour déjeuner. Puis me rends dans le temple en face pour y faire la sieste.

Comme à chaque fois, j’y suis très bien accueilli. Le moine présent me déroule la natte et m’offre une bouteille d’eau et une canette de thé bien frais. Une fois repus et reposé, je dois repartir avec ce problème mécanique non bloquant. J’arrive à bloquer la chaine sur le 3è pignon ce qui me laissera un peu de marge en jouant sur les 3 plateaux. Je repars en mode Gravel et Fixie à la fois. Je débranche aussi le cerveau. Je repars sur la piste aux étoiles. Enfin plutôt la piste aux poussières d’étoiles. En effet, sur cette portion, quelques voitures et utilitaires circulent. Et je m’en rends vite compte.

Dès que j’en croise un ou que je me fais doubler, j’ai droit à ce nuage. Je me prends même un caillou dans le pif. Sans gravité. J’avance comme un automate en faisant gaffe quand même de ne pas toucher la gâchette droite. Cela me ferait passer la chaine sur le petit pignon. Le paysage est identique à ce matin. Les hameaux se succèdent. La lassitude me gagne malgré la musique à donf’ et les Hello. L’heure avance plus vite que moi. Je commence à repérer des maisons abandonnées. J’ai refait le plein d’eau et acheter quelques gâteaux au cas où. Je me donne jusqu’à 16h30 pour trouver quelque chose. J’arrive en vue du dernier hameau de Sameakki. Juste à l’entrée, j’aperçois sur ma gauche le porche caractéristique d’un temple bouddhiste. Pourtant aucun temple n’était répertorié sur ma carte ! Je m’y rends. Je suis accueilli par Son Tiger (Vanna de son vrai prénom). Il me propose de m’héberger pour la nuit. « Tout se fera ! ». En premier, je passe à la douche et j’en ai bien besoin.

Avant
Après

Une fois douché (vous remarquerez le magnifique bronzage avec mes sandalettes de curée), je m’installe tranquillement pour discuter avec Vanna et M. le Maire qui vient vérifier mon passeport au cas où. Quand je vous dis que le monde est petit, je le réitère encore ce jour. Effectivement, Vanna a vécu à La Reynerie à Toulouse. Il parle quelques mots de français. Une de ses sœurs vit à Villeneuve-la-Garenne et son frère à Caen. Avec l’aide de ses 3 jeunes moines, il me prépare ma couche au pied de Bouddha. En guide de repas, j’ai droit à un énorme panier de fruits tirés des offrandes déposés aux pieds des statues. Il demande même au plus âgé que son téléphone me serve de relais pour la wifi. Incroyable …

Après m’être restauré en fruits et désaltéré en eau fraîche tirée du frigo, je n’ai plus qu’à m’installer à un bureau d’écolier situé dans le coin de la pagode pour rédiger ces lignes. Cerise sur le pompon, j’ai trois moinillons derrière moi qui me regardent rédiger ce texte. Ils semblent impressionnés par le fait que je saisisse à l’aveugle. D’ailleurs la nuit est tombée depuis belle lurette. Cette journée, certainement une des plus rudes depuis mon départ avec 105 bornes de pistes, de poussière, de chaleur moite et de fixie sur la fin, se finit en apothéose.

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