J’avais zappé cette habitude laotienne de mettre la musique à fond dès 5h du matin. Et, comme mon GuestHouse a la chance d’avoir 2 haut-parleurs juste à côté, autant dire que le réveil a été plutôt brutal. Après la musique, c’est une voix de femme qui prend le relais. Est-ce de la propagande ? Sont-ce des infos ? Je ne le sais pas. Il faudra que je me renseigne à ce sujet. Toujours est-il qu’à 5h30, je suis déjà prêt à attaquer cette 170é journée de mon périple asiatique. Le proprio est venu me saluer, du haut de son balcon; avant mon départ.

Comme je n’ai rien avalé ce matin (fini mes gâteaux roboratifs vietnamiens matinaux) et que cela devrait grimper sec d’entrée de jeu, je retourne au marché pour y acheter mon p’tit déj’. Je ne suis pas seul. Il y a déjà foule avant de partir bosser aux champs.

Une fois mes courses effectuées, je retourne à mon GuestHouse pour y déjeuner tranquillement. D’autant plus qu’un délicieux thé de ce district de Phongsaly est gracieusement mis à disposition. J’ai donc opté pour une salade de riz et deux gâteaux de riz sucrés et parfumés. Avec ça dans le coffre, je devrais avoir assez de glucides pour tenir un petit moment.

Je pars plein ouest en empruntant la route nationale 2E qui a débuté à la frontière laotienne. Le soleil levant est derrière moi. Tout va bien. Je suis dans la bonne direction plein ouest avant de replonger au sud.

C’est vraiment agréable de partir dès potron-minet. La température est fraîche. La circulation est fluide. De toute façon, sur cet axe, la circulation sera fluide toute la journée. D’autant plus que j’attaque la grimpette dès la sortie du village. Je monte à travers des forêts au milieu desquelles j’aperçois quelques plantations et habitations dans des vallons isolés.

Je grimpe à travers ce paysage pendant 16 kms avec 1200 D+ et 500 D- (donc quelques grosses descentes). J’arrive à plus de 1.000 mètres d’altitude. Une fois au sommet, la vue est absolument sublime sur les monts embrumés alors que le soleil continue lui aussi son ascension journalière. D’ailleurs, je ne regrette pas mon choix d’avoir posé les sacoches hier à midi. Cela aurait été pure folie d’attaquer ce col en plein cagnard. Déjà qu’avec la fraîcheur matinale, c’est chaud patate; avec la chaleur journalière, c’eût été torride frite.

Après avoir passé le village de Kounglouk, j’amorce la descente. Mais elle sera de courte durée vu qu’il me faut remonter jusqu’au village de Mokchala. C’est un village culturel dans lequel un projet d’alimentation est développé. La pauvreté y est prégnante. Il est 7h du mat’. De nombreux gamins se baladent dans ce village alors qu’il devraient être à l’école. Mon passage crée l’animation matinale. Les « Sabadi ! » fusent de toute part. Je m’arrête pour photographier ce trio.

Du haut de ce village, la vue est toujours aussi sublime. Je surplombe la mer de nuages alors que le ciel est immaculé. La journée s’annonce chaude.

Par contre, je retrouve à nouveau ces monts calcinés. J’avais envisagé, dans un article précédent, que c’était pour de nouvelles plantations. Mais la raison est plus prosaïque que cela. En traversant ces hameaux et bourgades, je comprends qu’il s’agit tout simplement d’un moyen de survivre.

En effet, tous les habitants de ces cabanes et maisons que je vois en traversant hameaux et bourgades ne possèdent ni gazinière, ni plaque chauffante, ni micro-onde. Pour chauffer l’eau et la nourriture, ils utilisent un chaudron chauffé avec du bois. Comme chez nous, il y a de nombreuses années. Et ce bois provient tout simplement des brulis. Les troncs des arbres cramés sont comme du charbon de bois. Ces troncs sont d’ailleurs stockés dans les fossés devant les habitations.

De même, il n’y a pas d’eau courante. L’eau provient de captage dans les montagnes et arrive via des tuyaux au bord des fossés. Ce matin, j’ai aperçu une vieille femme, seins nus cachés par un tee-shirt, qui arrivait du fossé où elle venait de faire sa toilette. J’ai vu aussi quelques hommes en slip qui finissait leurs ablutions matinales. De même, le linge et la vaisselle sont lavés dans des bassines alimentées par ces tuyaux de captage. Par décence, je n’ai pas photographié ces scènes. Je pense d’ailleurs que ces montagnes sont un des endroits les plus pauvres aperçus depuis mon départ. Après 30 kilomètres et 1.500m de D+ et D-, je rejoins la rivière Ou qui se jette dans le Mékong à Muang Pak Ou situé au nord de Luang Prabang.

« Mais où est la rivière ? ». « La rivière ou est là juste en bas ! ». « Mais en bas d’où ? ». « Non, ce n’est pas de la badoit ! ». « Ah ! C’est de la gadoue alors ? ». « Bon allez oust ! Laisse béton … ».
Cette partie est très agréable. Je suis souvent à l’ombre, protégé par les arbres de la forêt sur ma droite. De plus, le vent rentre dans la vallée et m’aère les bronches. Enfin, la route est une succession de petites montées et descentes qui épousent les courbes de la rivière. J’alterne moyenne et grosse plaque et je monte et descends les pignons en fonction de la déclivité. C’est un joli cliquetis rythmé aussi par les chansons d’Alain Bashung. J’arrive dans le village de Mang Khoua où la Nam Phak River se jette dans la Ou River. J’emprunte à pied la passerelle qui enjambe la première nommée. J’y croise un quatuor de jeunes collégiennes. Je leur demande de poser pour moi. Une d’elles est plus réservée que les autres.

Je reprends ma route 2E qui longe désormais la Nam Phak River. Mais, depuis un petit moment, Haka2 émet un bruit métallique ce qui n’est pas dans ses habitudes pourtant. En pédalant, j’essaie de déterminer d’où provient ce bruit. Ce n’est ni le pédalier, ni le roulement de pédalier, ni les pédales, ni les vitesses, ni les freins. Je finis par m’arrêter pour en avoir le coeur net. En enlevant les sacoches, je m’aperçois qu’une vis de serrage de la tige de porte-bagages s’est cassée net. D’où ce frottement métallique. Je dois en avoir une en réserve de la République. J’arrive à la fixer à l’intérieur sans qu’elle ne frotte, à quelques millimètres près, sur le disque du frein. Ça, c’est réparé. Je peux repartir sans bruit parasite. Et, surtout, sans que la sacoche ne vibre risquant d’entraîner un bris (et un bruit !) plus important.

Je continue mes pérégrinations en suivant toujours cette rivière où quelques hameaux s’accrochent aux rives.

Lorsque ces hameaux sont de l’autre côté de la route, des passages flottants permettent d’y accéder à pied.

Dans la plupart de ces hameaux, je retrouve ces maisons aux parois d’osier tissé et aux toits de tôle. Pendant la période des pluies, ce doit être terrible d’habiter dans ces habitations. Je m’arrête dans une des gargotes de ce hameau pour y boire une cannette de Nescafé frais et m’approvisionner en eau. Le vent dans le pif assèche sacrément les muqueuses. Et il me reste encore quelques kilomètres avant d’arriver au terme de cette étape.

Peu avant midi, alors que la chaleur commence à bien se faire sentir, j’arrive à Paknamnoi au carrefour de 3 axes. La route 2E d’où je viens, cette même route 2E qui plonge vers le sud et la route 1B qui monte au nord du Laos dans la région de Phongsali jusqu’en Chine. J’aperçois un groupe de femmes attendant un bus. C’est surtout les coiffes de certaines, coiffes composées de pièces de monnaie datant de l’époque coloniale, qui attirent mon regard. Je m’arrête et leur demande la permission de les photographier. Elles me font signe qu’elles veulent de l’argent. Je négocie l’achat d’un bracelet à l’une d’elles (celle à gauche) en contrepartie de la photo. Une fois payé, les autres veulent alors me vendre aussi une babiole et refuse la photo. Ce sera donc une photo à moitié volée. Ces femmes font partie de l’ethnie Akha (rien à voir avec mon fidèle Haka2) du nord Laos. Je confirme qu’elles sont effectivement attirées par la monnaie.

Après cet épisode insolite, je me dirige après le pont vers l’un des deux GuestHouse de cette bourgade. Je m’enquiers auprès du restaurateur de la localisation de cette maison d’hôte. Elle se trouve juste en face. Un homme un plus âgé que moi m’interpelle alors en français. Il me dit qu’il m’a doublé en voiture sur la route et me demande ce que je fais dans ces contrées perdues à vélo. Quant à lui, il est médecin à la retraite et bénévole dans l’association « Peuples et Montagnes du Mékong ». Il est en mission, avec son président et une femme franco-vietnamienne, dans ces villages montagnards. Je le laisse déjeuner puis traverse la route pour réserver une chambre. Mais le réceptionniste me dit en anglais que c’est « Full ». Donc complet pour les non-anglophones. C’est bien la première fois que cela m’arrive. Je me rends au second juste avant le pont. La gérante me jette en laotien sans que je comprenne pourquoi. Je reviens au restaurant, retrouve mes français attablés et demande l’assistance de la femme interprète. Finalement, le second est complet aussi. Ça se complique. Je viens de faire 74 kms avec du dénivelé, la chaleur grimpe, la fatigue s’accumule. Je me serais bien posé. Finalement, je me pose pour déjeuner alors que le trio associatif retournent à Luang Prabang. Je n’ai d’autres choix que de descendre jusqu’à Muang La sis à 37 kms d’ici. La sieste sera pour demain ! Et même les panneaux se montrent ironiques …

Il est 13h00. Je n’ai plus qu’à brancher les mollets, débrancher le cerveau, rebrancher la musique et c’est reparti mon kiki sur ma jolie route cabossée et bosselée.

J’avance cependant bon train malgré les bosses et le vent. A ce rythme, je devrais arriver vers 15h00. Alors que je roule à bonne allure, j’entends comme une pétarade au loin. En effet, c’est un feu de forêt et ce sont les arbres qui crient de douleur. A force de tout brûler, la ressource va finir par s’épuiser. Comment feront ces peuples des montagnes pour survivre sans bois ?

Je repars. Encore quelques kilomètres et j’arrive enfin à l’ entrée de Muang La. Il est pile-poil 15h00. Il me faut impérativement trouver un hébergement. Le premier trouvé Dr X GuestHouse, situé à l’entrée du village et non répertorié sur mes cartes, est fermé. Cela commence fort.

Je me rends au second en bord de rivière à la sortie du village. Je tombe sur un jeune patron bedonnant et souriant. Après bien des palabres inutiles, il me propose un lit à 250.000KIP soit 2 fois plus cher que d’habitude. Je refuse et lui en propose 150 comme d’hab’. Il appelle sa femme, parlemente, consulte son téléphone, regarde son ordinateur et n’ose pas me dire que ce n’est pas assez. Je lui en propose alors 200 en lui disant que j’allais consommer chez lui, que j’étais exténué et que je voulais dormir. Il me dit que je peux trouver un hébergement ailleurs à 150. Vraiment bizarre. Je me rends au Muang La Lodge GuestHouse. Là, c’est un problème d’eau. Donc pas d’eau, pas de chambre. La patronne m’en indique un autre pas très loin et également sur ma carte. Il s’agit du Muang La Hotel. Même problème que précédemment. La jeune patronne parlant un peu anglais, m’explique que le niveau de la rivière est trop bas et que l’eau ne remonte plus. Je n’ai plus qu’à retourner voir mon drôle de zigue. Je conclus l’affaire à 200. Et il me conduit enfin à ma chambre … qui se trouve être en fait une habitation en forme de fruit. Il y en a trois comme cela. Je comprends maintenant pourquoi le prix et pourquoi sa réticence à le baisser. C’est hyper kitsch mais aménagé sobrement à l’intérieur. J’adore. De plus, l’endroit est calme et superbe. De petits bungalows sont installés sur l’eau pour que les clients puissent y déjeuner. Quant à moi, je passe la fin de l’après-midi et le diner à la terrasse du restaurant donnant sur cette vue.

Finalement, je décide de rester une journée de plus dans cet endroit insolite. Je m’y sens bien. Et j’ai aussi besoin de faire une pause après ces dernières journées harassantes et celle-ci à 111 kms et 1.800 D+